L'image de la femme dans la Bande Dessinée (4) - Des héroïnes têtes de série aux créatures dénudées -


 

L'image de la femme dans la Bande Dessinée (4)

- Des héroïnes têtes de série aux créatures dénudées -

 

Suite au changement des mentalités, marqué par la révolte de mai 1968, on voit enfin apparaître dans les bandes dessinées des héroïnes à part entière, véritablement seules à la tête de leur série.

Ce fut, par exemple, le cas de « Natacha », une hôtesse de l’air aventureuse, qui est apparue en 1970, dessinée par François Walthéry ; ou encore « Yoko Tsuno », toujours en 1970, dessinée par Roger Leloup. Même Jean Graton, le maître de la course automobile avec sa série Michel Vaillant (depuis 1957), qui nous faisait vivre les aventures d’un monde très masculin, a fini, en 1976, par créer une autre série consacrée entièrement à une femme pilote de moto, « Julie Wood ».

Elles sont toutes jeunes, belles, intelligentes et elles n’ont peur de rien.

Avec leur arrivée, la BD ne sera jamais plus pareille. Et les jeunes lectrices avaient enfin sous les yeux, 20 ans après Line, des images de femmes positives avec lesquelles elles pouvaient pleinement s’identifier.

Et une fois de plus, je ne pense pas me tromper en affirmant que le 9ème art ne fut à aucun moment source de ces changements de mentalité dans la société européenne. La BD ne faisait qu’être témoin de mutations qui avaient eu lieu par ailleurs et antérieurement.

Autre nouveauté d’importance, à partir de cette époque : la BD se libère définitivement de son étiquette « divertissement pour adolescents ». On voit de plus en plus apparaître sur la couverture des albums un tampon portant le message : « BD pour adultes ». Mention qui deviendra vite inutile tant ça deviendra une évidence permanente. On ne reviendra plus en arrière. Les jeunes lecteurs des années 1950/60 avaient bien grandi, et ce sont désormais de jeunes adultes qui dévorent toujours autant ces bandes dessinées, mais à condition que le contenu en soit plus mature.

Très vite, même, une totale liberté s’installera sur les planches à dessin, quitte parfois, comme pour rattraper le temps perdu et oublier totalement les limitations bien pensantes imposées par la protection des jeunes esprits, à ne plus s’imposer aucune restriction pour aller explorer des domaines extrêmes dans la violence ou l’érotisme.

Dès 1968, Milo Manara (venu d’Italie) consacre sa création artistique à la mise en scène de filles superbes à la sexualité débridée. Mais très vite on comprendra qu’on est dans le plus absolu fantasme masculin. Il en arrivera même – dans sa série « Le Déclic » (1984) - à imaginer maîtriser totalement les impulsions de la libido de son héroïne grâce à un implant télécommandable. Ses dessins sont magnifiques, les scènes qu’il imagine sont « libératrices » du point de vue des mœurs, mais, je le crains, anti-féministes au possible. (Et je crains même, en plus, que bien des femmes ne me trouve beaucoup trop indulgent dans mon appréciation, et macho à mon tour d’admirer pareilles images. Il faudra que j’assume.)

En 1971, Pichard et Wolinski mettent en scène une autre héroïne libérée du nom de Paulette. Elle est plantureuse, souvent dénudée – en un mot, elle n’a pas froid aux yeux. Mais on est, une fois de plus, beaucoup plus dans le fantasme masculin que dans la libération féminine – et encore moins féministe.

Dans la même veine, un peu plus tard, en 1985, Paul Gillon (connu pour sa série « Les Naufragés du Temps » créée en 1974 avec Jean-Claude Forest – oui, vous l’avez reconnu : l’auteur de Barbarella !) ... Gillon donc se lancera seul dans une série de science-fiction post-apocalyptique très érotique dans laquelle sa « Survivante » est entourée d’humanoïdes très doués pour la chose et même jaloux.

Déjà, des BD que l’on pourrait classer dans la catégorie « porno hard » se vendent sous le manteau. Et elles ne resteront pas cachées bien longtemps. Citons dans cette catégorie la série "Druuna" dessinée en 1986  par Serpieri. Encore un Italien. Probablement qu'il régnait alors en Italie un vent de liberté venu des USA et de la BD underground et que l'influence franco-belge y était moindre.

Mais passée cette exploration débridée et libératrice des années 1970/80, la bande dessinée européenne verra l’apparition d’héroïnes plus sociables et plus équilibrées.

En 1976, c’est Tardi, le spécialiste de la grande guerre de 1914, qui crée le personnage d’Adèle Blanc-Sec. Une femme intelligente, indépendante et solitaire. D’un caractère curieux, elle cherche à tout comprendre, surtout si on tente de lui cacher la vérité, et elle a donc le chic de se plonger sans arrêt dans des situations toutes plus dangereuses les unes que les autres.

Autre amoureux des beaux portraits de femme de caractère (et de grands voiliers également – je ne sais pas si il y a un rapport), c’est François Bourgeon qui lance en 1979 une série magnifiquement illustrée pas ses soins : « Les Passagers du Vent ». La série aurait tout aussi bien pu s’intituler « les aventures d’Isa et de Mary ». Ses autres séries, à savoir « Les compagnons du crépuscule » (1984) ou encore « Le cycle de Cyann » (1993) donnent toujours la part belle à ses héroïnes.

En 1983, Serge Le Tendre lance sa série « La Quête de l’Oiseau du Temps », mise en images par plusieurs artistes dont Régis Loisel. Série dans laquelle son personnage Mara, princesse-sorcière, et sa fille Pélisse, jouent les premiers rôles.

En 1998, Jean-David Morvan et Philippe Buchet lancent « Sillage ». C’est une série de science-fiction qui tourne autour de son personnage principal, à savoir la jeune Nävis, seule humaine au milieu d’espèces et races différentes ou de robots humanoïdes ou non.

Comme on peut le constater avec ces quelques exemples, en cette fin de XXème siècle, la femme a enfin pu trouver sa place dans la Bande Dessinée. Et il y a fort à parier qu’elle ne l’abandonnera pas de sitôt.

Si j’arrête mon étude à cette date, ce n’est pas par désintérêt pour ce qui suivit et fut publié à partir de l’année 2000, mais parce que, d’une part, la production était devenue pléthorique et qu’il était désormais quasi impossible de prendre connaissance de tout ce qui est publié afin d’en tirer des leçons ; et, d’autre part, parce que l’absence de femmes des débuts de la BD fait désormais partie du passé et qu’on peut enfin passer à autre chose.

Petit problème cependant – et il faudra bien y revenir – toutes ces séries, vous n’avez pas pu ne pas le remarquer, sont le fruit de cerveaux masculins et dessinées par des mains d’hommes. Alors si la femme est enfin apparue dans toute sa complexité dans les cases des albums, il lui restera à se faire une place de l’autre côté du pinceau. Mais ça, c’est une autre histoire !

[à suivre...]


 

Affichages : 472