L'image de la femme dans la Bande Dessinée (3) - Des héroïnes libérées -



L'image de la femme dans la Bande Dessinée (3)

- Des héroïnes libérées -

 

C’est donc en 1964 qu’une Bande Dessinée a, pour la première fois en Europe, semble-t’il, donné une image bien différente de la femme. Jean-Claude Forest a imaginé et créé une héroïne à part entière, mais surtout une femme libre qui assumait sa vie et sa sexualité sans craintes et sans limites. Elle se nommait Barbarella.

Je ne suis pas certain toutefois qu’elle ait connu un succès immédiat. Parue entre 1962 et 1964, les premières planches de cette série de science-fiction légèrement érotique (mais déjà très osée vus les critères de l’époque) avaient fait scandale à leur parution. Mais ce n’est probablement qu’en 1968, lorsque Roger Vadim adapta la BD au cinéma en confiant le rôle de Barbarella à Jane Fonda que la réputation de la publication sur papier atteignit un public plus large.

Et même si la censure obligea les éditeurs des rééditions papier de la série à recouvrir dans certaines vignettes les seins et le sexe de la belle d’un léger bikini, rien ne serait désormais plus comme avant dans les bandes dessinées destinées au grand public.

Il y a cependant de fortes chances que le fossé entre la sage petite Line des années 1950 et cette Barbarella débridée soit quand même trop grand pour que « les jeunes filles chics », lectrices de BD, même si elles avaient bien grandi depuis, puissent le franchir et s’identifier totalement et sans hésitation à cette nouvelle image de femme.

En 1966, c’est Guy Peellaert qui créait une autre héroïne libérée : Jodelle. Elle n’eut certainement pas le réputation de sa consœur. Son auteur participait néanmoins au changement de mentalité qui traversait alors la société, même si sa démarche restait plus discrète en raison de ses choix. Tout d’abord parce que Jodelle n’eut pas droit à une série l’installant dans le temps, mais surtout parce que son dessinateur avait choisi de faire entrer dans la BD le style artistique en vogue à l’époque : le Pop Art. Et plus d’un habitué des cases à la ligne claire a du être dérouté par ces couleurs criardes et ces décors stylisés. D’autre part, ce genre artistique n’ait pas vécu très longtemps.

Mais les mentalités avaient définitivement changé et les séries nouvelles ne pouvaient plus se limiter à un monde entièrement masculin. Le héros moderne devait compter sur sa (ou ses) partenaire(s) féminine(s) – de plus en plus séduisantes, soit dit en passant – pour se sortir de tous les mauvais pas dans lesquels il se précipitait immanquablement, suspense oblige. Il suffit de relire les aventures de « Corto Maltese » dessinées par Hugo Pratt, venu d'Italie (1967), « Olivier Rameau » par Greg et Dany (1968), de « Rahan » par Lecureux et Chéret (1969), ou encore « Valérian » par Christin et Mézière (1970). Leurs jolies partenaires comme Colombe ou Laurelineavaient pris la place de Fantasio et du Capitaine Haddock, pour le plus grand plaisir des lecteurs qui avaient grandis. Certaines d’entre elles, comme les deux citées, en arriveront à prendre pratiquement le premier rôle dans la série. Et même des séries plus anciennes, jusque là entièrement masculines, ont ouvert leurs cases et leurs bulles à une présence féminine, comme ce fut le cas dans « Lucky Luke » par Morris avec Ma Dalton ou Calamity Jane, ou encore avec l’apparition « magique » de la Schtroumpfette en 1967 dans la série de Peyo.

Toutefois, à aucun moment à cette époque de transition et de changement, il ne sera encore question de relation amoureuse. Il faudra attendre encore plusieurs années pour que Colombe et Olivier Rameau, ou Laureline et Valérian ne soient présentés comme plus que partenaires professionnels. Quant à la Schtroumpfette, elle vivra toujours seule dans ce monde de petits hommes bleus dont elle a quand même chamboulé l’existence. Mais il ne faut pas oublier qu’au départ elle n’est qu’une créature créée de toute pièce par leur ennemi mortel, Gargamel, dans le but de les détruire. D’ici à y voir une créature du Diable qui sème la zizanie, il n’y a que l’épaisseur d’une feuille de salsepareille. Pas mieux que l’image d’Eve dans la Bible en ce qui concerne le rôle des femmes ! Et même lorsque la série verra l’apparition d’un bébé Schtroumpf (en 1984), toujours pas la plus petite trace de réalisme amoureux. La Schtroumpfette n’y est pour rien dans cette naissance. C’est encore une création de Gargamel et apportée par … des cigognes ! Plus que jamais, les cours d’éducation sexuelle à l’école étaient une nécessité urgente puisque la BD n’assumait toujours pas ce rôle.

Il faudra attendre encore quelques années avant que ces héroïnes n’embrassent amoureusement leur partenaire, voire plus si affinité.

[à suivre...]


 

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