L'image de la femme dans la Bande Dessinée (2) - Les premières héroïnes


 

L'image de la femme dans la Bande Dessinée (2)

- Les premières héroïnes -

 

Dans les années 1950, quelques temps après l’attribution du droit de vote aux femmes (1944 en France), l’image de la femme dans la Bande-dessinée franco-belge va changer en profondeur. Pour ce qui est des Comics américains, il faudrait faire une autre étude, mais nous manquons là de références suffisantes.

Les femmes qui vont désormais apparaître dans ce monde d’hommes ne seront plus forcément des mères ou des sœurs – même s’il y en a encore, nous le verrons. Oui, voilà qu’apparaissent des épouses, des fiancées, et surtout, des femmes libres et indépendantes, célibataires épanouies avec un emploi, et donc libérées de toute référence à un homme.

La première du genre – dans mes souvenirs – est née sous le pinceau de Franquin. Elle se nomme Séccotine. Elle est apparue en 1953 dans l’album « La Corne du rhinocéros », un épisode de la série des aventures de Spirou et Fantasio. La voilà affublée du nom un peu ridicule d’un pot-de-colle célèbre, mais elle a bien des qualités que n’avait pas la Castafiore qui colla en son temps aux basques de Tintin et surtout du Capitaine Haddock.

Seccotine est jeune, belle, et elle n’a pas froid aux yeux. Elle est journaliste et va aider Spirou et Fantasio dans leur enquête, en échange de renseignements pour écrire ses articles. Et roublarde avec ça, comme vous le constaterez dans les dernières cases de l’aventure.

1955 marque une autre étape importante, avec l’apparition d’une jeune héroïne à part entière dans une série qui débute sous son nom : Line.

Elle aura même, quelques temps plus tard, un magazine hebdomadaire à son nom également, destiné aux « chics filles ».

Pour dire la vérité, je ne sais pas si elle fut réellement la toute première héroïne féminine libre et tête d’affiche dans une BD en France et en Belgique, mais c’est la première dont j’ai eu connaissance et dont je me souvienne.

Il y eu en fait plusieurs versions du personnage Line, et elle ne devint célèbre en fait que sous les traits d’une belle adolescente blonde qui n’avait peur de rien lorsqu’elle fut dessinée, à partir de 1962, par Paul Cuvelier, auteur de la série « Corentin ».

Line partageait alors la sphère féminine avec d’autres mères de héros, mais aucune - à cette époque - ne connut jamais comme elle le devant de la scène en étant le personnage principal d’une série.

Il y eut, à partir de 1957, une mère – bientôt grand-mère – souvent inquiète pour son fils ainé, et à juste raison : il était en effet pilote de course automobile et se nommait Michel Vaillant – une série dessinée par Jean Graton.

Mme Vaillant-mère, il faut le dire, était en général inséparable de sa bru, l’épouse de son second fils.

En 1958, entrent en scène une jeune mère de héros, puis une fiancée de héros, et enfin une femme fatale.

Tout d’abord rappelons l’image de la jeune et jolie maman du petit Boule, gamin espiègle, jamais en manque d’imagination ou à court d’idées dans ses aventures avec son célèbre chien Bill. Maman ne jouera jamais un grand rôle dans la série, mais elle sera toujours présente. (cf. la série « Boule et Bill » créée et dessinée par Roba)

Pour ce qui est de l’éternelle fiancée – une spécialité venue des Comics américains avec Minnie, Daisy ou Olive, entre autres, dans les séries Mickey, Donald et Popeye -, il n’y en a pas tant que ça dans la BD franco-belge.

Mais en 1958, Franquin succomba à cette mode dans sa série « Modeste et Pompon ». La pauvre Pompon, hormis qu’elle ne connaîtra jamais le jour de son mariage, ne jouera pas non plus un rôle très important dans cette série de gags en une planche. Elle sera plutôt la secouriste qui accoure chaque fois pour tirer son Modeste des mauvais pas où il se fourre avec son mauvais caractère.

Pour ce qui est de la femme fatale, il s’agit de Lady X dans la série « Buck Danny ». A l’image des grandes espionnes de l’histoire, Lady X est une belle femme dangereuse, attirante, mais raison de plus pour s’en méfier. Pas encore tout à fait une image de femme positive, il faut l’avouer. Il faudra encore attendre.

En 1959, Goscinny, scénariste très prolixe, invente un personnage qui connaîtra une réputation égale à celle de Tintin ou de Spirou – ce qui n’est pas rien. Il se nomme Astérix, et Goscinny en confie la création artistique à Uderzo. Ce qui surprend le plus dans cette série plus moderne que celles déjà citées, c’est encore la quasi absence de femme. Il y a bien, me direz-vous, Bonnemine, la femme du chef de ce village gaulois qui résiste aux Romains, et Falbala, la jeune et jolie villageoise, épouse d’un vieux croûton. Mais elles ne jouent absolument aucun rôle dans le déroulement des aventures des héros. Elles ne servent que de faire-valoir, et de sujets de gags. Si ce genre de mépris pouvait encore s’expliquer dans les années 1940 (chez Tintin) ou dans les années 1950 (chez Spirou), - en raison des coutumes et traditions de ces époques -, cela ne tenait plus à l’aube des années 1960 – décennie de la libération de la femme et de la libération sexuelle. Il faudra attendre 1965 pour qu’un album de la série « Astérix » ne mette enfin en vedette une héroïne, Cléopatre, en l’occurence.

Est-ce parce que, entre temps, un autre dessinateur avait fait prendre un virage important à la BD européenne, en y modifiant considérablement l’image de la femme ? C’était en 1964.

On en reparle bientôt.

Entre temps, en 1962, l’apparition soudaine de secrétaires féminines dans la série « Gaston Lagaffe » qui datait déjà de 1957, apporta un semblant de changement, mais un semblant seulement. Car si ces jeunes femmes avaient, certes, une vie professionnelle, signe d’une certaine indépendance, elles n’en restaient pas moins confinées à des rôles très subalternes. Et même Mademoiselle Jeanne, amoureuse platonique de Gaston, bien qu’étant plus que d’autres mise en avant, n’en aura pas pour autant un rôle véritable qui pourra influencer le développement de la série. Elle restera toujours légèrement ridicule avec son physique quelque peu ingrat, et on imagine difficilement de jeunes lectrices s’identifiant à elle.

Pour ce qui est de la présence dans la BD d’une héroïne véritablement positive, il faudra encore attendre un peu. Deux années au moins.

[à suivre...]


 

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